Dans le Nord Cotentin, le jardin botanique de Vauville est un petit paradis subtropical où s’épanouissent un millier d’espèces de l’hémisphère austral. Cette improbable oasis, classée Jardin remarquable depuis 2004, est le fruit de trois générations de passionnés. Crée par Éric et Nicole Pellerin il y a soixante-dix ans, elle a été magnifiée par Guillaume Pellerin et Cléophée de Turkheim, qui ont enrichi la collection botanique et réunit une extraordinaire collection d’outils anciens. Depuis 2017, le jardin de Vauville a été repris par leur fils Eric Pellerin, aux côtés de Guillaume de Lestrange. Tout en veillant sur le désordre poétique et organisé du lieu, il y cultive une passion pour les odeurs, certainement héritée de son aïeul, le fondateur de Roger & Gallet… Rencontre avec un passionné.
« l’odeur d’un jardin après la pluie, de la terre humide,
mêlée à une sensation très fraîche qui vient de la mer. »
1. Si vous étiez un parfum/une odeur ?
Ce pourrait être le mélange de deux odeurs : l’odeur d’un jardin après la pluie, de la terre humide, mêlée à une sensation très fraîche qui vient de la mer. Ceci étant bien sûr lié à Vauville, où ces odeurs venant du jardin provoquent un sentiment bienfaisant lors de ballades après la pluie, souvent le matin. Mais pour en faire un parfum j’aimerais y ajouter une note un peu plus soutenue comme le patchouli que j’affectionne particulièrement qui est pour moi une odeur réconfortante, chaleureuse, rassurante, généreuse. Cette odeur m’évoque une grande-tante grecque qui avait un intérieur rouge, en velours, et qui était toujours très maquillée et parfumée.
2. Quel type d’odeur préférez-vous ?
Il y a des senteurs de plantes australes qui sont très agréables. Par exemple dans le jardin de Vauville il y a une liane de Corée du Nord qui s’appelle Holboellia qui est un mélange entre le jasmin, le muguet et la fleur d’oranger. Début avril les Skimmia japonica sont assez incroyables aussi, des fleurs blanches, pas trop capiteuses et assez légères qui génèrent des effluves dans les douves du jardin. L’Eupatorium du Mexique également est un arbuste dont il émane une senteur proche de la myrrhe et de l’encens qui est assez prégnante.
3. Celles qui vous dérangent ?
Il y a le chlore, l’odeur du chlore dans les maisons me dérange car cela masque les odeurs de la vie, cela tue tout et moi j’aime ce qui est vivant ! Sinon, pas vraiment. Pour moi les odeurs évoquent la vie, avec ce qu’elle a de magnifique et de plus sombre. Cela permet de créer des balances, des contrastes. On peut faire le parallèle entre la vie et la mort. Si tout sentait bon ce serait ennuyeux.
4. Un souvenir olfactif marquant ?
Le parfum Diorissimo de ma grand-mère. Toujours souriante, du haut de ses quatre-vingt dix ans, c’est toujours une joie de l’embrasser car il y a cet élan de fraîcheur, et ce muguet lui donne un boost de jeunesse et qui fait beaucoup de bien. Croiser quelqu’un qui porte ce parfum dans la rue, c’est immédiatement retrouver ma grand-mère, et c’est assez beau de voir à quel point un parfum colle à une personne.
5. L’odeur de votre enfance ?
La cannelle me fait pas mal régresser ! Ma famille maternelle étant alsacienne, cela me replonge tout de suite dans les goûters de Noël, la Saint Nicolas, le pain d’épices, les clémentines … Les odeurs de pommes et de cannelle me renvoient directement en enfance.
« C’est très frais, très chlorophyllien mais en même temps si léger qu’on a l’impression de suivre l’herbe qui s’envole au passage de la tondeuse et qui invite au voyage et à l’imaginaire. »
6. Un parfum de voyage ?
Il y a une odeur incroyable dans le temple de Jokhang à Lhassa au Tibet. C’est un mélange de beurre de yack, de bois et d’encens. C’est vraiment une senteur particulière, totalement liée à ce temple qui est un des cœurs du bouddhisme au Tibet à coté du Palais du Potala. C’est un lieu qui a plus de deux mille ans, et qui cumule tout un tas d’odeurs, de bois, de gras, mais aussi de cheveux des pèlerins qui ont fait des centaines de kilomètres à pied, ça sent un peu la transpiration, c’est un peu animal, les gens viennent avec des chèvres, il y a aussi l’odeur de suie des bougies, dont les mèches sont assez grosses et pas coupées ce qui apportent un peu noirceur, une note brûlée.
7. Une odeur culinaire ?
La paella ! Cela m’évoque les épices, le paprika, c’est généreux, gourmand, c’est un plat qui se partage, qui est convivial, c’est une senteur très joyeuse pour moi! Également lorsque je vivais à Paris les odeurs de cuisine de ma concierge quand je rentrais le soir, cela suscite l’imaginaire, la curiosité, ça parle de la personne, cela peut déranger mais personnellement je trouve cela réconfortant, c’est une odeur de vie.
8. Quelles odeurs vous transportent ?
Il y a cette fameuse odeur d’herbe coupée, que je côtoie souvent au Jardin. Pour moi c’est une forme de légèreté, liée à l’envol. C’est très frais, très chlorophyllien mais en même temps si léger qu’on a l’impression de suivre l’herbe qui s’envole au passage de la tondeuse et qui invite au voyage et à l’imaginaire.
9. Un lieu avec une empreinte olfactive ?
Chez ma grand-mère en Provence, il y a une senteur typique de sa maison, une petite touche qui nous fait penser « Ah ok, là on est arrivés à Eygalières !»
Au rez-de-chaussée, à l’ombre, il y a quelque chose de très particulier, accueillant mais sans trop l’être. Ça sent le meuble en bois, le textile, il y a un odeur un peu sèche mais aussi la note humide et fraîche des orages d’été.
10. Quelle est la place des odeurs dans votre vie ?
J’utilise mon sens olfactif tous les jours! Avant de reprendre le jardin je suis passé par la réalisation et le cinéma. L’audiovisuel, les décors, font aujourd’hui toujours partie de ma vie. Mon imaginaire étant assez fort, j’aime tout ce qui peut participer à s’échapper et les odeurs en font partie. J’aime avoir dans mon entrée une bougie parfumée, je me parfume chaque jour, et je vis dans un jardin où l’olfactif est présent continuellement. Vivre à la campagne permet d’être plus à l’écoute de ses sens.
11. Pour finir, quel est votre parfum ? Vos parfums préférés ?
Je porte actuellement Eau de Givenchy, qui n’est pas sans rappeler le Ptisenbon de Tartine et Chocolat, qui est une odeur très légère, une eau comme son nom l’indique. Et ce genre d’odeur permet de se rapprocher de la pluie, du vent, de l’iode.
En hiver j’aime porter du patchouli. Le Patchouli Impérial de la Collection Privée Christian Dior. J’aime aussi beaucoup Kenzo Homme, que j’ai porté plus jeune et que j’ai toujours trouvé très identifiable et très curieux dans son coté iodé, marin. Enfin l’Homme Sport de chez Roger et Gallet, que j’aime porter de temps en temps, mon grand père ayant travaillé chez Roger et Gallet. Il y a là aussi quelque chose de très frais.
Propos recueillis par Clémence Decolin
Eric Pellerin de Turkheim
Arrière-arrière petit fils de l’un des fondateurs de Roger & Gallet, le réalisateur Eric Pellerin a repris il y a deux ans le jardin botanique de Vauville créé par son grand-père il y a sept décennies. Il poursuit ainsi l’œuvre de ses parents – Guillaume Pellerin et Cléophée de Turkheim – qui ont fait de ce lieu l’un des plus beaux jardins de France.