Actuellement en pleine création de la pièce « Du côté de Guermantes », mis en scène par Christophe Honoré, où il interprète le rôle de Swann, Loïc Corbery a pris le temps de nous confier quelques émotions et souvenirs olfactifs. Des parfums de son enfance aux odeurs des théâtres, rencontre avec le 519ème sociétaire de la Comédie Française.
Propos recueillis par Clémence Decolin
« Lorsqu’un projecteur est à sa puissance maximum, il y a toujours une odeur de brûlé, presque imperceptible, qui flotte dans l’air… »
Si vous étiez un parfum/une odeur ?
Immédiatement me vient l’idée du sable chaud, à la plage. Sensation de petite enfance, parfum évocateur de quelque chose de rassurant, réconfortant, enveloppant. C’est une odeur assez sourde aussi, voire assourdissante sous l’effet de la chaleur, et j’aime ce sentiment là.
L’odeur de votre enfance ?
Celle de mon jardin, l’odeur de la nature provençale. Je suis né à Avignon, donc ce serait ces odeurs de garrigue, mélange de lavande, de thym, de romarin, de terre, écrasées par le soleil.
Un souvenir olfactif marquant ?
Des odeurs très prégnantes, de mort, de putréfaction. Ce sont des odeurs qui me choquent et me fascinent en même temps. C’est là aussi quelque chose de lié à l’enfance. La vie, les aventures d’un petit garçon dans son jardin, qui devient un terrain de jeu incroyable, avec la vie, le soleil, la nature, la chaleur ambiante et parfois la mort, avec un oiseau en putréfaction, mon chat qui ramène des souris mortes, les pose dans un coin de ma chambre, et on s’en rend compte une semaine après en cherchant l’odeur.
Un parfum de voyage ?
J’ai beaucoup voyagé dans le Maghreb et au Moyen-Orient et c’est pour moi notamment un rendez-vous olfactif, et ce, en général, dès la sortie de l’aéroport.
Des odeurs fortes, un mélange de parfums et d’odeurs, bonnes et mauvaises. Des parfums très voluptueux, très forts, parfumés dans tout ce que l’on peut imaginer de plus agréable, associés à des odeurs d’épices, de transpiration, des choses plus animales.
Une odeur culinaire ?
Lors d’un autre voyage, en Chine, je me souviens précisément de l’odeur de cuisine, de nourriture, dans la rue. Un mélange de fumée, de braises, de chairs âcres, amères. Des odeurs de cuisson de viande, d’abats, à même la rue, à même le pavé, des odeurs de grillades surgissant du fin fond de la nuit. Des choses un peu étrangères à notre culture occidentale, qui peuvent même nous
paraître repoussantes, et qui donc sont fascinantes. Parfois les haut-le-cœur sont accompagnés d’une curiosité très particulière.
« Si la Comédie-Française était une odeur, ce serait une odeur chaude, douce, tendre, ce pourrait être une odeur de miel. »
Un lieu avec une empreinte olfactive particulière ?
Le premier plateau sur lequel j’ai mis les pieds quand j’avais quatorze, quinze ans. C’était un petit théâtre à Avignon. Cette odeur c’est celle de la poussière, celle de la combustion de la poussière sur la lentille du projecteur. Lorsqu’un projecteur est à sa puissance maximum, en général il y a toujours une odeur de brûlé, presque imperceptible, qui flotte dans l’air. C’est une odeur très particulière que l’on retrouve de théâtre en théâtre, en tous cas dans ceux qui ont une vie quotidienne, même ici dans le plus grand théâtre de France. Ça pour moi, cela raconte le théâtre.
Et dans ce théâtre, en plus de cette odeur du plateau, de la technique, il y avait aussi une odeur de linge, de tissus. Que ce soit les pendrillons, les rideaux du plateau, ou même les costumes. Ici à la Comédie-Française, l’odeur des costumes est plutôt une odeur printanière, il y a un entretien des costumes assez incroyable, quand on met une chemise elle est impeccable, elle a été lavée la veille, repassée le matin, c’est l’odeur du propre. Mais à l’époque, on était une bande de gamins de quinze ans, on se passait les costumes les uns les autres, qu’on enfilait, qu’on enlevait, on travaillait deux heures avec puis on les passait au suivant. Sans sentir la saleté, sans sentir mauvais, cela sentait le vécu, la vie des répétitions.
Si la Comédie-Française était une odeur ?
Ce serait une odeur chaude, douce, tendre, ce pourrait être une odeur de miel.
On a toujours tendance à comparer cette maison à une ruche, les gens qui y travaillent, les techniciens, les comédiens, sont comme les abeilles et le miel serait le spectacle que l’on donne à voir tous les soirs. Oui, ce serait une odeur de miel.
L’olfactif au théâtre ?
En tant que spectateur, j’adore quand sur le plateau interviennent des éléments réels, de l’eau par exemple, ou de la terre, et la présence de ces éléments naturels provoque parfois aussi une odeur, et je suis très friand de cela. J’aime beaucoup aussi quand le metteur en scène fait usage de la fumée, sous quelque forme que ce soit d’ailleurs, mais quand tout à coup, l’odeur de cette fumée me gagne moi en tant que spectateur, j’adore ça ! De la même manière, si quelqu’un fume en scène, j’aime quand l’odeur de cigarette arrive à mon nez, de manière extrêmement sourde, j’aime quand le réel intervient de manière sensorielle.
Quel type d’odeurs préférez-vous ? Quelles sont celles qui vous dérangent ?
Il y a une odeur qui me dérange énormément, qui me met très mal à l’aise, c’est une odeur dont on a du mal a se débarrasser quand elle est là, elle s’installe, c’est l’escooufi, en Provence, c’est très caustique, un peu rance. C’est cette sensation, cette odeur, du linge oublié dans la machine. Une odeur de renfermé, de léger pourrissement. Et je ne connais pas de mots de la langue française pour définir cette odeur, en revanche en Provence c’est l’escooufi, « ça sent l’escooufi ».
Les odeurs que j’aime sont des odeurs sourdes, je n’aime pas quand le parfum est trop présent.
Les parfums que vous aimez ?
J’aime les parfums épicés, corsés, c’est très paradoxal avec ce que je viens de dire avant mais les parfums fleuris, printaniers, ne m’attirent pas plus que ça. J’aime porter des choses qui auront plutôt tendance à me donner du caractère. Il y a chez Serge Lutens un parfum qui s’appelle « Fumerie Turque », on est dans le voyage, j’aime les noms évocateurs de cette marque…
Loïc Corbery
C’est au hasard d’une rencontre, alors qu’il n’est âgé que de six ans, que Loïc Corbery fait ses premiers pas d’acteur à Avignon sous la caméra d’Agnès Varda.
De cette expérience naît une passion du jeu qu’il développera d’abord dans le théâtre amateur, avant de rejoindre le Cours Perimony, puis le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris dans les classes de Stuart Seide et de Jacques Lassalle. Menant en parallèle une carrière d’acteur au cinéma et à la télévision, il intègre la troupe de la Comédie-Française en 2005, et en devient le 519ème sociétaire en 2010. Il y sera l’interprète de rôles majeurs tels que Christian dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, le Prince de La Double Inconstance de Marivaux, Alceste dans Le Misanthrope de Molière. Il joue également dans Les Damnés, d’après le scénario de Luchino Visconti, pièce qui a ouvert l’édition 2015 du Festival d’Avignon.
© Stéphane Lavoué, coll. Comédie-Française
Crédits photos : Arthur Lenoir & Cosimo Mirco Magliocca, coll. Comédie-Française